DÉFIS GLOBAUX POUR L’EUROPE - L’Union Européenne après l’élargissement
Discours prononcé par le Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen à l’Institut Français des Relations Internationales le 14 avril 2004
M. Directeur Général, mesdames et messieurs,
C’est un grand honneur pour moi d’avoir l’occasion de venir m’adresser à vous ici, à l’institut aujourd’hui.
Dans un peu plus de deux semaines - à savoir le 1er mai - l’élargissement de l’UE deviendra réalité. Ca sera l’aboutissement de plus de 10 années de travail – le couronnement étant les décisions adoptées au Sommet de Copenhague en décembre 2002. En même temps, l’élargissement marque le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de l’Europe et de l’Union européenne.
C’est un moment opportun de nous tourner vers l’avenir. Je me concentrerai sur les défis globaux auxquels l’Union élargie est confrontée.
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Permettez-moi tout d’abord d’évoquer brièvement la Conférence intergouvernementale et le futur traité constitutionnel.
Une tâche principale pour l’Union dans les années à venir sera d’assurer la réussite de l’élargissement. Le premier pas déterminant sera l’adoption d’un nouveau traité. Nous devons aménager les processus de décision et les institutions de l’Union de manière à maintenir et à renforcer l’efficacité de notre coopération même avec 25 États membres, voire plus.
Le Danemark salue donc le résultat obtenu lors du Sommet européen au mois de mars. Ce resultat met en évidence la force de l’Union. Les crises sont susceptibles de survenir. Les négociations sont susceptibles d’être suspendues. Mais nous trouvons une solution nous permettant d’avancer.Il s’agit désormais de réunir la volonté nécessaire pour trouver un compromis.
Certaines parties ont exprimé des inquiétudes face à l’échec de la Conférence intergouvernementale parce qu’elles voient un signe d’une évolution vers une dominance de grande puissance au sein de l’Union. Eventuellement sous forme de relations plus étroites entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
Je ne partage pas cette crainte. Je ne considère pas les dernières réunions tenues entre ces trois pays comme un club privé contre quelqu’un d’autre. Ces pays souhaitent, comme c’est le cas avec d’autres, échanger leurs points de vue préalablement aux réunions importantes au sein de l’Union.
De toute évidence, il est essentiel d’organiser la coopération européenne de manière à ne pas créer des entités - grands contre petits, nord contre sud et est contre ouest.
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L’Union élargie aura tout naturellement une plus grande responsabilité du développement au niveau mondial. L’élargissement a réellement permis à l’Union européenne de passer d’un acteur régional vers un acteur global. Dans les prochaines années, l’Europe devra prendre activement position sur le monde qui l’entoure. Ca devra se faire au niveau économique, au niveau de la politique étrangère et au niveau de la politique de sécurité.
L’Europe se trouve face à de grands défis au niveau économique. Dans les prochaines années, nous allons assister à un déplacement global considérable des emplois.
Cette répartition du travail à l’échelle mondiale peut être pour le bien commun. Mais uniquement si nous, les Européens, arrivons mieux à créer de nouveaux emplois. L’Europe doit en tout état de cause faire un pas énorme en avant en ce qui concerne les investissements dans des emplois dans le domaine de la technologie de pointe. L’Europe doit mettre en place une société de la connaissance, où la recherche et l’éducation sont placés au premier rang. Nous devons faire de l’économie européenne une économie forte, compétitive et dynamique.
Nous avons fait les premiers pas importants. Dans les années 80, nous avons crée le marché unique. Dans les années 90, nous avons introduit la monnaie unique, l’euro. Et le 1er mai de cette année, nous allons réaliser l’élargissement de l’Union européenne qui passera ainsi de 15 à 25 États membres. Un grand marché unique avec plus de 450 millions d’habitants. La plus grande économie du monde.
Mais malheureusement pas la plus dynamique du monde. Nous perdons du terrain en matière de technologie. Nous perdons les emplois traditionnels, et nous créons trop peu de nouveaux emplois.
Dans les domaines cruciaux comme la recherche et l’innovation, l’Europe est également à la traîne. Surtout par rapport aux États-Unis. Les Américains consacrent plus d’argent à la recherche et au développement. Et l’Europe souffre de la fuite des cerveaux aux Etats-Unis.
Il faut placer l’emploi en faveur des citoyens européens au centre. À présent, il convient donc de mettre en oeuvre un plan d’envergure permettant à l’UE de devenir une société de la connaissance de premier plan. Notre action doit être de grande envergure et bien ciblée.
Je propose que nous nous fixerions comme objectif de développer un véritable espace commun en matière de recherche, de développement et d’éducation.
Il faudrait, dans les années à venir, redoubler les efforts de l’UE en cette matière. Concrètement, je vais proposer cinq éléments qui sont tirés d’une stratégie pour le développement d’un espace commun en matière de recherche, de développement et d’éducation.
Premièrement, les crédits consacrés au programme cadre de recherche communautaire devraient bénéficier d’une augmentation significative.
Deuxièmement, il conviendrait de mettre en place un nouveau Fonds européen de la recherche fondamentale. Le Fonds doit permettre un renforcement de la recherche fondamentale à l’échelle européenne dans les technologies de demain, comme par exemple les nanotechnologies, les technologies hydrogènes et les technologies environnementales.
Troisièmement, il conviendrait de renforcer la coopération en matière d’innovation et de diffusion de la technologie. La tâche consiste à traduire, dans les plus brefs délais, les résultats de recherche en de nouvelles productions. Le programme Airbus est un bon exemple de coopération d’un enjeu statégique parce qu’il permet d’aboutir à des résultats et de renforcer notre développement industriel. Il nous faut tirer des lecons de ces résultats et les exploiter dans d’autres domaines.
Quatrièmement, il conviendrait d’étendre considérablement les programmes d’échange européens en faveur des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Notre ambition doit être de considérer l’Union comme un espace, où les étudiants, les enseignants et les chercheurs se déplacent - comme la chose la plus naturelle – partout dans l’Union.
Cinquièmement, il conviendrait d’étendre nos programmes d’échange à d’autres régions du monde. Notre ambition est de faire de l’Europe un centre international de premier plan en matière d’éducation et de recherche. Nous devons attirer davantage d’étudiants qu’aujourd’hui, venus entre autres des États-Unis et de l’Asie. Et nous devons établir des collèges européens dans d’autres régions, comme par exemple aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient.
Le marché intérieur, la monnaie unique et l’élargissement de l’Union marquent tous des étapes importantes de l’Europe. Il convient désormais de franchir une nouvelle étape importante. Faire de l’UE une économie fondée sur la connaissance de premier plan. Et ceci en créant un espace commun pour la recherche, le développement et l’éducation.
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Mais l’Europe se trouve également face à de nouveaux défis en matière de politique de sécurité. Le terrorisme international, avec sa brutalité sans merci auquel nous venons d’assister à Madrid, mais également les États échoués, la prolifération d’armes de destruction massive, les guerres civiles, les catastrophes d’origine humaine. On connaît maintenant la liste par cœur. L’Europe doit relever ces défis globaux en collaboration avec des acteurs réactifs qui partagent ses vues, tout d’abord les États-Unis.
L’UE devrait jouer un rôle particulièrement responsable dans le domaine de la politique de sécurité en Europe et dans le voisinage immédiat de l’UE, p.ex. dans le Moyen-Orient et en Afrique. L’Union européenne doit pouvoir utiliser ses nombreux instruments financiers, humanitaires, diplomatiques et autres en commun avec les instruments militaires. Ca permettrait de créer une plus-value pour la politique de sécurité.
Mais pour cela, il est nécessaire d’accroître la capacité des pays de l’UE à mettre en oeuvre et à mener des opérations militaires dans les régions en conflit. Et pour cela, il faudra améliorer les possibilités de définir et de poursuivre une politique étrangère et de sécurité commune au sein de l’UE.
La pierre angulaire pour la sécurité européenne reste l’OTAN – et donc la coopération avec les Etats-Unis et le Canada. Mais dans ce cadre, nous devrions renforcer la capacité propre de l’Europe à prévenir et à résoudre des conflits régionaux.
L’Union devrait être capable d’assumer des missions militaires de rétablissement et de maintien de la paix et humanitaires, lorsque l’OTAN ne souhaite pas intervenir. Je salue donc l’initiative présentée par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne sur la mise en place d’une force d’intervention commune. Ca devra s’inscrire dans la lignée du développement de la force de réaction de l’OTAN.
L’Union européenne a déjà démarré sa première opération militaire en Macédoine, où elle a repris la relève de la mission de l’OTAN. Dans quelques mois, l’UE prendra le relais de la mission de l’OTAN en Bosnie. La SFOR deviendra l’EUFOR. Ca sera la mission la plus importante et la plus exigeante jusqu’ici pour l’UE.
L’UE pourra également jouer un rôle positif en Afrique qui est tiraillée par les conflits. A la fois à travers des opérations directes comme ca a déjà été le cas avec l’opération dirigée par la France au Congo. En même temps que l’on accorde une aide aux efforts de rétablissement de la paix, qui sont conduits par les organisations africaines elles-mêmes.
Le prochain pas à faire dans cette direction est tout naturellement une amélioration de la capacité militaire des pays de l’Union. C’est la raison pour laquelle une Agence Européenne de la Capacité d’Armement, de Recherche, et de Militaire sera créer. C’est à mes yeux une initiative sensée, car elle permettra, on l’espère aussi, de contribuer à un renforcement de la recherche et du développement technologiques de l’Europe.
Mais l’Union européenne ne pourra devenir un acteur sérieux sur la scène internationale que si elle arrive mieux à parler d’une seule voix.
La politique étrangère, de défense et de sécurité relèvera tout d’abord de la compétence des États membres. Mais nous devrions être mieux à même de trouver une position commune et de poursuivre une position commune. Seule une telle action à l’unisson permettra à l’Europe d’avoir du poids dans la communauté internationale.
Il convient donc de créer le poste de ministre européen des Affaires étrangères. Un poste fort, où le ministre européen des Affaires étrangères présidera le conseil des ministres des Affaires étrangères, et il aura le droit de proposer des initiatives au même titre que les États membres.
Le poste de ministre européen des Affaires étrangères ne pourra pas garantir que les pays de l’UE parleront d’une seule voix. Mais si nous arrivons à choisir la personne appropriée, qui est capable de saisir l’équilibre entre les intérêts nationaux et les intérêts communautaires, je suis convaincu que l’Union aura fait un pas important, qui lui permettrait d’occuper un rôle plus central sur la scène internationale.
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Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord font partie du voisinage immédiat de l’UE. Nous avons traditionnellement eu tendance à considérer toute la région à la lumière du conflit israélo-palestinien.
Mais il faut considérer la région à une échelle plus large. Les populations dans la majeure partie des pays du monde arabe manquent de liberté et leurs conditions de vie sont si misérables que ca génère une colère violente et une frustration. Cette frustration peut rapidement être dirigée contre le reste du monde – en particulier contre les États-Unis et l’Europe. Même si les raisons des maux et des frustrations dont souffrent ces populations se cachent tout d’abord dans les affaires intérieures, qui existent dans chacun des pays.
Ici, nous nous trouvons confrontés à un défi de politique étrangère et de sécurité à laquelle l’UE, dans les années à venir, doit accorder la plus haute priorité. Il est nécessaire d’établir un dialogue intensif et une coopération avec les pays au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, un réel partenariat.
Les pays nordiques et baltes ont commencé par présenter une proposition concrète lors du Sommet européen au printemps 2003. Plusieurs contributions intéressantes ont suivi depuis, notamment de la part de la France et de l’Allemagne. Et nous savons que le gouvernement américain reste aussi préoccupé par cette idée.
On peut à juste titre se demander pour quelle raison les régimes autoritaires au Moyen-Orient devraient être incités à initier une coopération en matière de réforme et d’ouverture de leurs sociétés.
Je vois au moins deux mesures incitatives. Premièrement, les avantages économiques qui sont tirés d’une coopération économique renforcée. Deuxièmement, la coopération de sécurité au niveau régional avec l’OTAN. Mais cette dernière nous montre que l’UE ne pourra pas assumer à elle seule la tâche d’un nouveau partenariat avec le monde arabe. Je crois que l’établissement d’un tel partenariat avec le monde arabe doit se faire dans une collaboration entre l’UE, les États-Unis et les pays arabes. Ces derniers doivent avoir un sentiment d’appartenance envers les changements nécessaires de leurs sociétés.
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Pour moi, une stratégie coordonnée à long terme pour le Moyen-Orient est un élément naturel de la coopération transatlantique entre l’UE et les États-Unis.
D’après moi, il est nécessaire de donner un nouvel élan à la coopération transatlantique. Ces dernières années ont été marquées par une série de tensions politiques graves dans les relations transatlantiques. La première a naturellement été provoquée par le conflit en Irak. Mais la Cour pénale internationale, l’accord de Kyoto et le climat, ainsi que le désaccord commercial relatif aux denrées alimentaires OGM sont tous des exemples des grands différends de principe, qui ont ébranlé les relations transatlantiques.
À mes yeux, il faut relancer la coopération entre l’UE et les États-Unis. Il faut donner un nouveau départ.
Il convient, de toute évidence, de renforcer la coopération autour des thèmes plus vastes. Les thèmes, qui prennent leur point de départ dans une discussion des réels défis difficiles communs à l’Europe et aux Etats-Unis. Aussi sur les points où nous ne sommes pas d’accord.
Permettez-moi de mettre l’accent sur trois grands thèmes de coopération, qui sont des thèmes clefs à mes yeux :
Premièrement, il conviendrait d’étendre la coopération en matière de politique commerciale. Il y va de nos intérêts vitaux, et il est donc préférable d’assurer un bon déroulement des échanges transatlantiques. La grande majorité des échanges entre l’Europe et les Etats-Unis s’effectuent sans problèmes. Mais il est évident que nous devons continuer à faire en sorte d’éviter les litiges malheureux en matière de politique commerciale. Ici, les deux parties doivent prendre leurs responsabilités dans ces échanges. Je verrai d’un bon oeil l’établissement, à terme, d’une zone de libre échange transatlantique.
Le deuxième domaine porte sur la politique de développement et sur le développement durable. Ici, l’UE et les États-Unis se trouvent réellement face à un défi commun. Nous devons faire front commun dans la lutte contre la pauvreté dans le monde. C’est une question de dignité humaine et de justice. Et c’est une question de sécurité et de stabilité dans le monde à long terme. Nous devons coopérer en faveur d’un développement durable basé sur un meilleur accès au marché, sur le libre échange, sur l’aide au développement, sur la bonne gouvernance et sur une action plus vaste en faveur d’un meilleur environnement. Dans les domaines de la politique de développement et de l’environnement, l’Union européenne occupe la première place au monde. Et nous devons insister pour que le dialogue transatlantique accorde une priorité absolue à ces questions. À terme, c’est également dans l’intérêt des États-Unis de chercher à approfondir la coopération en la matière.
Troisièmement, il est nécessaire d’avoir un dialogue plus large en matière de politique étrangère et de sécurité entre l’Europe et les États-Unis. Nous avons des intérêts mutuels pour un ordre mondial stable et pour la promotion de la liberté et de la démocratie. La lutte contre le terrorisme devrait être un sujet principal dans de tels contacts entre l’UE et les États-Unis. Le Conseil européen vient de prendre des mesures, qui visent à renforcer la lutte contre le terrorisme. A la suite du 11 septembre, les États-Unis ont renforcé et centralisé leurs efforts. Il convient, de toute évidence, d’établir une coopération plus étroite à l’échelle transatlantique en la matière, et cette coopération devrait être plus vaste que celle, qui existe dans le domaine militaire.
Un tel nouveau cadre pour le dialogue entre l’UE et les États-Unis sera naturellement basé sur les résultats, qui seront obtenus lors des négociations entre les parties. Le Danemark a observé avec intérêt les idées françaises sur une charte transatlantique, qui servirait de cadre pour le dialogue. L’objectif d’une telle charte devrait être de développer le grand potentiel d’un dialogue positif avec les États-Unis.
À l’heure actuelle, les États-Unis demeurent la seule superpuissance. Mais les États-Unis ont besoin de partenaires pour pouvoir gérer les défis de demain. L’Union europénne est la plus grande entité économique du monde. Mais c’est impossible pour l’Union d’agir seule dans un contexte global. Nous avons un intérêt commun à coopérer. Les États-Unis, quant à eux, voient un intérêt clair à long terme d’avoir une Europe forte comme partenaire global.
Il n’est donc pas contradictoire de souhaiter à la fois une Europe plus forte et en même temps un renforcement de la coopération transatlantique. Bien au contraire. Les États-Unis ont besoin d’une Europe forte et unie. Et l’Europe a besoin d’être forte et unie pour avoir une coopération équilibrée et sur un pied d’égalité avec les États-Unis.
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Ma conclusion est claire : les défis globaux sont d’une telle envergure que les pays européens doivent coopérer afin de les relever au niveau de l’économie, de la politique étrangère et de sécurité. Nous avons donc besoin d’une coopération renforcée dans l’Union élargie, qui permetterait de donner à l’Europe un énorme coup de pouce vers une économie du savoir de premier rang. Et nous avons besoin d’une coopération renforcée en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense. Et c’est également pour cette raison qu’il convient de mettre en place le nouveau traité constitutionnel dans les plus brefs délais.
L’Europe entre dans le 21e siècle réunifiée et renforcée. Mais également avec un nouvel agenda et de nouveaux défis.
L’Europe a un grand potentiel. Et l’objectif est clair – nous devons être au premier rang dans le développement du 21e siècle. Nous devons afficher un engagement positif et constructif dans le développement global. Pour réussir, il faut être prêt à s’attaquer aux tâches de grande envergure et prèt à avoir des idées novatrices.
Je vous remercie.